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L'Ingénu de Voltaire

Dernière mise à jour : 18 juin 2019

Pour cette séquence, 5 documents associés: 1 fiche bilan

NOTA BENE: L'Ingénu est une oeuvre plus difficile d'accès que Candide. Pour en permettre malgré tout l'étude en première technologique, la lecture partagée, à voix haute, est une bonne piste à suivre.



Etude de l'incipit de L'Ingénu, de Voltaire
Problématique: quelles sont les caractéristiques de cet incipit?

I-Un incipit séduisant, aux allures d'apologue:

1-La légende de saint Dunstan: Les toutes premières lignes de l'histoire semblent relever du merveilleux. Tout débute en effet par la légende de saint Dunstan, qui a voyagé «sur une petite montagne» depuis l'Irlande jusqu'en France. Le repère temporel «un jour» est très vague et peut se rapprocher de la formule inaugurale des contes de fées: «Il était une fois». La personnification de la montagne relève du merveilleux et de l'humour: «il donna la bénédiction à sa montagne, qui lui fit de profondes révérences et s'en retourna en Irlande».

2-La simplicité des personnages: Les personnages de l'histoire sont simplifiés. On remarque la brièveté et l'efficacité des portraits. On ne trouve pas de portrait physique détaillé, ni pour saint Dunstan, ni pour l'abbé de Kerkabon, ni pour sa soeur. Le portrait moral est simplifié: Voltaire choisit d'aller toujours à l'essentiel.

3-La vivacité du récit: On remarque le choix d'un vocabulaire plutôt simple, des phrases assez courtes, la rareté des descriptions et la présence d'un dialogue entre l'abbé de Kerkabon et sa soeur. Voltaire choisit de capter l'attention du lecteur par un récit vif et plaisant, en faisant progresser l'histoire très rapidement.

II-Un incipit informatif, source d'attentes de lecture:

1-L'ancrage spatio-temporel: Si les premières lignes appartiennent au merveilleux, la suite de l'histoire est beaucoup plus réaliste. On trouve des repères temporels très précis: «En l'année 1689, le 15 juillet au soir», «en 1669», et des repères spatiaux conformes à la réalité: «la baie de saint-Malo», «dans la baie de Rance».

2-Une famille en Bretagne: Voltaire nous présente une famille de la petite noblesse bretonne, en utilisant des éléments de la réalité locale, comme le goût des grands voyages (monsieur de Kerkabon et son épouse sont partis pour le Canada) et l'importance de la religion, dans une région marquée par la tradition catholique. Le nom de famille est typiquement breton et assez amusant: «Kerkabon» fait penser à l'expression fataliste «A quoi bon». On remarque la gentillesse de l'abbé et de sa soeur, avec un vocabulaire mélioratif qui les présente comme des personnages sympathiques et positifs. On repère très vite le lien de cette famille avec le Canada.

3-Le Huron: Il est mis en valeur par sa relative politesse, contrastant avec la rudesse des Anglais. Le Huron est défini par ses qualités physiques, avec un vocabulaire mélioratif: «jeune», «très bien fait», «qui s'élança d'un saut». La précision «sa figure et son ajustement attirèrent les regards» indique son caractère original et séduisant.Voltaire décrit ensuite précisément ses vêtements et sa coiffure, suscitant notre intérêt.

III-Un incipit à visée satirique:

1-La représentation de l'abbé: Voltaire utilise un vocabulaire mélioratif: «un très bon ecclésiastique», «aimé de ses voisins». Mais cet éloge est ironique: dans l'expression «après l'avoir été autrefois de ses voisines», le participe passé «aimé» est sous-entendu et montre que l'abbé était un coureur de jupons. Voltaire souligne que les hommes d'Eglise boivent trop, et lisent des textes autrefois censurés, comme Rabelais.

2-Le portrait de la soeur de l'abbé: La représentation de mademoiselle de Kerkabon est elle aussi satirique. Voltaire insiste sur le célibat du personnage, qu'il tourne en ridicule. On trouve par exemple un élément mélioratif «conservait de la fraîcheur», vite contredit par la précision «à l'âge de 45 ans». Voltaire compose le portrait d'une vieille fille frustrée, avec des jeux d'opposition: «dévote» et «elle aimait les plaisirs».

3-La désinvolture du récit: On remarque un ton léger, désinvolte. Voltaire se moque de ses personnages, proches de la caricature, en leur attribuant des propos répétitifs, redondants: «s'il n'avait pas été tué, nous pourrions espérer le revoir encore», «si elle n'avait pas été mangée(...) elle serait revenue au pays». Voltaire garde une distance avec ses personnages: les plus sympathiques d'entre eux peuvent se montrer ridicules.


Etude d'un extrait de L'Ingénu, de Voltaire: l'expérience de la prison, chap. X de «On leur apporta à dîner...» à ...beaucoup apprendre.»
Problématique: En quoi ce texte peut-il se lire comme une initiation philosophique?

I-L'enfermement est l'occasion d'un apprentissage:


1-Le cadre de la prison: L'emprisonnement à la Bastille a été vécu par Voltaire, ainsi que d'autres écrivains, comme Diderot. Mais le cadre de la prison est assez peu décrit. Les personnages sont enfermés à deux dans la même cellule, ils reçoivent «à dîner par un guichet», et n'ont guère de contacts avec les geôliers. L'emprisonnement est surtout une pause dans le récit des aventures. Il s'agit du chapitre 10: à mi-parcours du conte philosophique, l'auteur donne l'occasion de réfléchir, de tirer des leçons de tout ce qui précède.

2-Gordon ou la figure du maître: Gordon apparaît comme la figure type du maître, du vieux sage. Gordon est désigné comme «le vieillard» ou «le bon vieillard», ce qui souligne son expérience de la vie et son caractère bienveillant. Le discours direct met en relief son bon caractère, son amour des livres et sa profonde sagesse: «Il y a deux ans que je suis ici (...) je n'ai pas eu un moment de mauvaise humeur.».

3-L'ingénu ou la figure de l'élève: L'ingénu apparaît ici comme un personnage jeune, désireux d'apprendre et comprendre, doté d'une vive curiosité, d'une bonne capacité de réflexion. On remarque le vocabulaire mélioratif employé pour le caractériser: «un grand fonds d'esprit», «de profondes réflexions sur cette idée.». Les deux personnages se complètent bien, ce qui est souligné par un parallélisme: «Le vieillard savait beaucoup, et le jeune homme voulait beaucoup apprendre.».


II-L'enfermement est la source de multiples réflexions:


1-Réflexion sur la liberté et sur la justice: Ce texte est le point de départ d'une réflexion sur la liberté et sur la justice. On remarque l'hyperbole qui souligne que la liberté est une valeur essentielle pour Voltaire: «le bien le plus précieux des hommes, la liberté».On remarque la critique du système des lettres de cachet, qui ôtait toute possibilité de se défendre en justice.


2-Réflexion sur le pouvoir du pape et du roi: Le champ lexical de la religion est très présent : Gordon est en prison pour jansénisme , courant chrétien moraliste, qui déplaisait au roi et aux jésuites. Ses paroles dénoncent une incarcération injuste et montrent le pouvoir absolu du roi,et l'influence de certains hommes d'Eglise. Les accusations contre le pape sont graves: «tous les malheureux que j'ai rencontrés ne le sont qu'à cause du pape.»


3-Réflexion sur l'être humain: Le texte contient aussi une réflexion sur l'être humain, à partir du désespoir amoureux qui se manifeste chez l'ingénu. L'ingénu est un jeune homme sensible, désespéré d'être séparé de sa bien-aimée. On remarque le champ lexical des larmes, la présence des exclamatives qui marquent la vivacité des sentiments. Mais les larmes sont l'occasion d'une réflexion empirique sur le lien entre le corps et l'âme.


III-La mise en place d'une démarche philosophique:


1- Apprendre à surmonter le désespoir: Gordon apparaît comme un sage qui aide l'ingénu à surmonter le désespoir. Il est l'exemple de la bonne humeur, malgré la prison. Le dialogue va permettre d'apaiser le chagrin. On repère l'anaphore de «soulage» à propos des larmes, qui montrent le souci de réconforter le jeune homme.


2-Développer sa compréhension du monde: L'expérience de la prison est l'occasion de développer ses connaissances et sa compréhension du monde, puisque le personnage dispose de temps et de livres. L'ingénu va suivre le modèle de Gordon: il s'agit de lire et de réfléchir, pour mieux comprendre l'homme et le monde.


3-Apprendre grâce au dialogue: Le texte est basé sur un dialogue entre Gordon et l'ingénu, comme le montre l'utilisation des pronoms «je», «vous», le présent d'énonciation, l'alternance des questions et de réponses. Ce texte est à rapprocher des dialogues de Platon, dans lesquels Socrate, le philosophe, questionnait ses disciples pour leur permettre de mieux comprendre le monde et les hommes.




Etude d'un extrait de L'Ingénu, de Voltaire, chap.XIII, de «Enfin le frère et la soeur partirent...» à «... se désespéraient.»
Problématique:En quoi le voyage à Paris permet-il la satire de la religion?

I-Un voyage placé sous le signe de l'échec:


1-La représentation de la capitale: La famille de l'ingénu accomplit le voyage depuis la Bretagne jusqu'à Paris pour le retrouver. Mais ce voyage les confronte à une ville déjà immense pour l'époque, et dans laquelle il est difficile de faire son chemin. Une comparaison vient renforcer l'impression d'égarement: «ils se trouvèrent égarés comme dans un vaste labyrinthe sans fil et sans issue». On trouve une référence au mythe grec dans lequel Thésée retrouve son chemin grâce au fil rouge de la belle Ariane. Malheureusement le parallélisme «sans fil et sans issue» souligne que pour nos héros malchanceux, il n'y aura pas de sortie victorieuse.


2-Le récit des échecs successifs: Les repères temporels et les connecteurs logiques soulignent les nombreux efforts de monsieur et mademoiselle de Kerkabon. On note «Enfin», «tous les jours», «Enfin», «Le temps s'écoulait». Plusieurs rencontres sont organisées, mais l'enquête des Kerkabon pour retrouver le héros ne progresse pas du tout. La dernière phrase du passage étudié le montre avec force: «Le temps s'écoulait, le prieur et la bonne soeur se désespéraient.». De même l'utilisation de nombreux verbes d'action au passé simple souligne que tous les efforts pour retrouver leur neveu semblent voués à l'échec.


II-Le décalage entre la province et Paris:


1-L'opposition des valeurs: En ce qui concerne les Kerkabon, originaires de Bretagne, le sens de la famille est une valeur essentielle. On voit que le champ lexical de la famille caractérise nos personnages: «le frère», «la soeur», «le neveu», «la bonne soeur». L'utilisation du pronom «nous» désigne la famille et souligne que pour nos personnages, la solidarité familiale est importante. En ce qui concerne la vie parisienne, c'est la notion de hiérarchie sociale, ainsi que la force des relations et des réseaux qui domine. Les titres de noblesse et les charges religieuses caractérisent les personnages rencontrés à Paris. Le pronom«nous» employé par le jésuite désigne un ordre religieux puissant et influent, dans les domaines scolaire, politique et diplomatique. A Paris, avoir des relations est essentiel, d'où les difficultés de nos personnages, originaires de province.


2-L'opposition des comportements: La famille de Kerkabon se caractérise par son honnêteté, sa franchise, son dévouement et naïveté. On remarque la clarté de monsieur de Kerkabon: «Non, assurément», «Je puis vous assurer». A l'inverse, les personnages rencontrés à Paris semblent trompeurs, hypocrites, fuyants et calculateurs. L'archevêque et l'évêque donnent de fausses excuses: «ils ne pouvaient s'occuper de son neveu, attendu qu'il n'était pas sous-diacre». On note un contraste entre les belles promesses,les apparences amicales et l'absence d'aide véritable: «Il congédia affectueusement le prieur, et n'y pensa plus».


III-La dénonciation ironique des hommes d'Eglise:


1-La satire des prêtres libertins: Les prêtres sont ridiculisés car ils sont ici presque tous occupés avec de jeunes et jolies femmes: le révérend père de La Chaise avec mademoiselle du Tron, l'archevêque avec la belle madame de Lesdiguères, l'évêque de Meaux avec mademoiselle de Mauléon. Le comique de répétition est utilisé par Voltaire pour donner des prêtres une image peu flatteuse: trop occupés avec de jolies femmes, ils n'ont apparemment pas le temps de s'occuper des problèmes d'un petit prêtre de province dépourvu de fortune.


2-La satire des prêtres intolérants: Les prêtres sont ridiculisés pour leur intolérance. On voit le jésuite se livrer à une véritable enquête à propos de l'ingénu.On relève de nombreuses interrogatives et un champ lexical de la religion très étoffé: «huguenot», «janséniste», «chrétien», «baptisé», «le jansénisme». Les jésuites ont une grande influence,et une grande intolérance envers ceux qui n'ont pas les mêmes croyances ou pratiques religieuses. Voltaire s'est battu toute sa vie contre le fanatisme religieux et contre l'intolérance.


Etude d'un extrait de L'Ingénu: chap. XX, de «Il descend de carrosse...» à la fin.
Problématique: en quoi ce passage forme-t-il la fin d'un conte satirique et philosophique?

I-La fin d'un conte traditionnel:


1-La morale de l'histoire: Le récit a une visée didactique. On le remarque avec l'attitude de Saint-Pouange, qui devant le cercueil de mademoiselle de Saint-Yves, regrette son comportement. On repère un sentiment de culpabilité: «il connut le repentir», «j'ai fait votre malheur», et l'hyperbole «j'emploierai ma vie à la réparer». La morale est formulée explicitement «malheur est bon à quelque chose»: des malheurs ont des conséquences positives. Mais cette morale est aussitôt corrigée sous la forme plus sombre: «malheur n'est bon à rien».


2-La fin du parcours du héros: Dans les contes , le héros obtient en général une récompense, après avoir prouvé sa valeur, en ayant surmonté des épreuves. Ici on trouve une expression fortement méliorative à propos de l'ingénu: «cet homme extraordinaire».Dans L'Ingénu, le héros accomplit un grand voyage, retrouve sa famille, découvre l'amour, connaît la prison puis la douleur de perdre sa bien-aimée. A la fin du conte, Voltaire le montre désespéré, mais au fil du temps la douleur s'apaise et le jeune homme devient «un excellent officier», «un guerrier et un philosophe intrépide». Le jeune homme évolue donc beaucoup entre le début et la fin du conte.


3-Le bilan collectif: A la fin du conte il y a un bilan sur l'ensemble des personnages. On retrouve l'abbé de Saint-Yves, le prieur, la bonne Kerkabon, la dévote de Versailles, mais aussi le père Tout à Tous et Gordon. Certains événements sont passés sous silence, avec des ellipses: «Le temps adoucit tout» . Une accélération temporelle aboutit à un bilan: jusqu'au dernier moment de sa vie», «vécut avec l'ingénu jusqu'à sa mort.»


II-La fin d'un conte satirique:


1- L'efficacité narrative: En une page et demi, le bilan nous est donné pour tous les personnages . On trouve très peu de détails descriptifs, et des personnages stéréotypés, réduits à de simples silhouettes: «la tendre Saint-Yves», «le bon Gordon», «la bonne Kerkabon». La rapidité du trait va de pair avec un sens aigu de la caricature : les personnages sympathiques renforcent par contraste la satire des personnages plus antipathiques.


2-La satire des hommes de cour et d'église: Saint-Pouange est «l'homme de la cour» et «le sous-ministre»; il incarne les défauts de la cour: la corruption, l'égoïsme . Il se définit comme «un homme nourri dans les plaisirs», mais il a causé la mort d'une femme. Voltaire ridiculise les hommes d'église par leur inefficacité et par la complexité de leur vocabulaire: «la grâce et le concours concomitant méritent d'être oubliés pour jamais».


3-Une fin parodique et ironique: Dans les contes, les personnages positifs sont récompensés. Ici, des personnages peu héroïques reçoivent des cadeaux. On remarque l'énumération qui souligne la gourmandise du jésuite: «des boîtes de chocolat, de café, de sucre candi, de citrons confits.» On note le contraste entre «la dévote», et «garda les boucles de diamant», ce qui montre le caractère intéressé de cette «amie».


III-La fin d'un conte philosophique:

1-L'exemple de Saint-Pouange: Ce personnage va changer radicalement en découvrant sa responsabilité dans la mort de mademoiselle de Saint-Yves. Il passe d'une existence vouée aux plaisirs à «une réflexion morale et philosophique comme le montre l'expression: «le ramener à la contemplation de la misère humaine.»


2-Une leçon à portée générale: On remarque le présent de vérité générale et des procédés de généralisation: «avec ce simple dégoût d'un homme», «avec cet empire que donnent la douleur et la vertu». On trouve des maximes :«la vieillesse, qui endurcit d'ordinaire le coeur des ministres», ou «le temps adoucit tout».


3-Une réflexion sur la mort: La mort domine tout l'extrait. Elle est source d'une immense douleur pour ceux qui restent: on trouve le champ lexical des larmes. Voltaire souligne l'importance du temps, dans le rapport de l'homme avec la mort: «Il chérit la mémoire de la tendre Saint-Yves jusqu'au dernier moment de sa vie.».


Bilan de la séquence sur L' Ingénu de Voltaire


Objet d'étude: La littérature d'idées du XVIème au XVIIIème siècle

Problématique: en quoi ce conte philosophique forme-t-il une satire de la société?

Oeuvre étudiée: L'ingénu, de Voltaire, édition GF

Textes complémentaires: extraits des Essais de Montaigne «Des Cannibales», récits de voyage de Bougainville, Supplément au voyage de Bougainville de Diderot, Tristes Tropiques, de Claude Lévi-Strauss

Lecture cursive: un conte philosophique au choix parmi plusieurs propositions de lecture (Voltaire, Calvino, Orwell, Pavlov )

Activité complémentaires: lecture partagée à haute voix de la totalité de l'oeuvre, fiche de lecture personnelle, lecture de l'image: Scène de cannibalisme de Jan van Kessel et Des Tahitiens offrant des fruits à Bougainville, peinture anonyme, 1768, Les seins aux fleurs rouges, Paul Gauguin, 1899.


I-L'Ingénu, une oeuvre à la croisée des genres:


1-Un conte philosophique: L'Ingénu présente des caractéristiques faisant de lui un conte philosophique et un roman.Par bien des aspects, il relève du conte: le voyage de Saint Dunstan sur une petite montagne, les personnages symboliques ou caricaturaux ( le «bon sauvage», la tendre jeune fille, la dévote, le prêtre sévère, le courtisan corrompu), des événements peu vraisemblables ( les retrouvailles du début, le combat contre les Anglais, la métamorphose de Saint-Pouange....) , la fin sur une morale en forme de devise du huron: «malheur est bon à quelque chose». Tous ces aspects font de notre récit un conte , mais sous la plume de Voltaire ce genre divertissant et plaisant devient une oeuvre engagée. Le texte léger devient une arme de combat pour les philosophes des Lumières.L'Ingénu respecte les principes du conte philosophique: l'histoire se déroule dans un temps et un lieu bien déterminés, les actions s'enracinent dans la France du XVIIème siècle pour dénoncer les travers et les abus de la société du XVIIIème siècle.Les questions du Huron et ses conversations avec Gordon à la Bastille reflètent bien le débat des idées philosophiques des Lumières.


2-Un roman sentimental: L'Ingénu par d'autres aspects s'apparente aussi au roman, et d'abord au roman d'amour.Tout d'abord, le récit compte une centaine de pages, et cette longueur est plutôt celle d'un roman que d'un conte. Mais la parenté avec le roman sentimental apparaît surtout dans l'intrigue et le choix des personnages principaux. Le sujet peut se résumer à celui d'une histoire d'amour impossible. Les deux jeunes gens éprouvent l'un pour l'autre une passion sincère et profonde, marquée par l'attirance physique d'abord, par l'accord des âmes ensuite. Cet amour partagé dépasse les différences culturelles et sociales, s'oppose à tous les préjugés de l'époque. Les jeunes gens sont victimes d'une société hypocrite et conservatrice: mademoiselle de Saint-Yves étant la marraine du jeune homme, elle n'a pas le droit de l'épouser. Par contre, les prêtres sont toujours en galante compagnie. Le roman sentimental oppose à la tyrannie de la société l'innocence des jeunes amoureux. L'aventure plaisante se transforme alors en tragédie du bonheur impossible.


3-Un roman d'apprentissage: L'Ingénu peut aussi se lire comme un roman d'apprentissage, puisqu'il nous présente le parcours d'un jeune homme qui découvre la vie et le monde. Le Huron, sauvage débarqué du Canada, va devenir un homme du monde civilisé. Son arrivée le plonge dans l'étonnement mais il apprend très vite et va évoluer tout au long du récit. Il découvre la société et perçoit ses défauts, il gagne en souplesse d'esprit, se passionne pour la philosophie et les sciences, apprenant par exemple beaucoup grâce aux conversations avec Gordon pendant leur séjour à la Bastille. A la fin du conte, le jeune homme est devenu un brillant officier et un philosophe accompli.


II-L'Ingénu, une oeuvre aux multiples registres:


1-Une oeuvre polémique: L'Ingénu est une oeuvre polémique, invitant au débat d'idées, mais de manière indirecte, comme souvent dans les apologues. L'auteur a choisi de placer son histoire, non pas au XVIIIème siècle,mais dans une période antérieure, le récit commençant le 15 juillet 1689. Ce choix n'est pas innocent: il permet à Voltaire de ne pas s'en prendre directement à la société de son temps, tout en critiquant malgré tout l'Eglise et la monarchie absolue. En effet, il dénonce dans L'Ingénu les persécutions contre les protestants suite à la révocation de l'Edit de Nantes en 1685, et le conflit qui oppose les jésuites, représentants de la tradition chrétienne, et les jansénistes, qui militent pour une pratique religieuse plus austère et une vie plus sobre. Voltaire dénonce aussi l'exercice de la monarchie absolue par Louis XIV, avec le système des lettres de cachet qui permettait d'emprisonner quelqu'un sans procès ni jugement. Le décalage temporel remplit la fonction d'une simple ruse narrative pour se protéger de la censure. De même, le sous-titre «Histoire véritable tirée des manuscrits du Père Quesnel» , en gommant la présence de Voltaire comme auteur, permet une plus grande liberté. L'Ingénu est une arme du combat philosophique des Lumières.

2-Une oeuvre satirique: L'Ingénu apparaît comme une oeuvre largement satirique: Voltaire tourne en ridicule de nombreux défauts de la société française, en nous faisant partager le regard d'un étranger non civilisé, découvrant avec stupéfaction la France de l'époque. La moquerie est d'abord sociale: la plupart des personnages sont de véritables caricatures. Voltaire se moque d'abord de la petite noblesse provinciale, remplie de préjugés. Au fil du texte, ce sont de nombreuses catégories sociales qui sont ridiculisées: les militaires, les fonctionnaires, les médecins. La satire est surtout politique: la cour du roi est corrompue, la justice est expéditive et arbitraire, la noblesse est égoïste et capricieuse. Mais la cible favorite des moqueries de Voltaire est toujours l'Eglise. Voltaire croit en Dieu mais il est révolté par les superstitions, l'intolérance et l'incompétence du clergé de son temps.Dans l'Ingénu, les hommes d'Eglise sont caricaturés de façon systématique: ivrognes ou coureurs de jupons pour certains, obsédés par les soit-disant menaces des jansénistes ou des protestants pour d'autres. La satire dénonce les défauts d'une société et provoque le rire ou le sourire, avec la caricature.


3-Une oeuvre ironique: L'Ingénu est aussi une oeuvre très ironique, comme la plupart des textes de Voltaire. On y trouve beaucoup d'antiphrases, de jeux de mots et sous-entendus qui font sourire le lecteur et participent à la dénonciation indirecte des travers de la société française, comme l'hypocrisie et les préjugés. L'ironie du sort est aussi présente, mais elle tourne au pathétique et au tragique à la fin du conte: malgré tous leurs mérites, les jeunes héros si amoureux ne seront jamais heureux ensemble.









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